Le poison eurocrate : privatisation de la securite sociale
Une proposition de directive, datant de décembre 2011 et examinée ce mois-ci par le Parlement européen, envisage la possibilité pour un État de privatiser les services de sécurité sociale obligatoire. Pour Jean-Emmanuel Ducoin, qui signe l’édito du jour, "Livrer la Sécu à la concurrence transformerait notre système public en un marché d’assurances privées".
Article de l’humanite du 18 Octobre 2012
Le poison eurocrate
Les monstres modernes agissent avec la froideur implacable de leur époque. La preuve, nous ne nous méfions jamais assez des eurocrates de Bruxelles. Toujours à l’affût d’une occasion pour tenter de constitutionnaliser le libéralisme dans les moindres interstices de leurs directives, ils ont l’art d’immiscer leur poison sous la forme de mots obscurs, en apparence indolores, mais qui, inoculés par surprise, ont la puissance des venins mortels. Ainsi, quelle ne fut pas la surprise de quelques députés européens en découvrant l’une des annexes d’une proposition de directive sur la « passation des marchés publics ». Maître d’œuvre, l’ineffable Michel Barnier, alias commissaire européen au Marché intérieur et aux Services. Ce projet propose ni plus moins que de livrer la Sécurité sociale à la concurrence. Par le biais d’appels d’offres, notre actuel système public se transformerait en un marché d’assurances privées.
L’affaire est sérieuse. Introduire des mécanismes dits de « concurrence » au sein d’un secteur jusque-là sanctuarisé autour des principes sacrés de solidarité signifierait la fin d’un des derniers piliers de notre pacte social. La possibilité de soigner gratuitement, quelle que soit la gravité du mal et quel que soit le niveau de vie du malade, reste une prérogative fondamentale de la République que nous ont léguée les membres du Conseil national de la Résistance. Elle figure même dans le préambule de la Constitution ! Imaginez un instant ce que deviendrait une Sécurité sociale privatisée, avec d’un côté, un opérateur historique réduit à l’os (les caisses d’assurance santé), et, de l’autre, des géants de l’assurance par exemple, ou des mutuelles, voire des banques, qui ne manqueraient pas de s’emparer du marché. La loi du plus riche et l’inégalité deviendraient les règles. Bien sûr, il est difficile de croire que le gouvernement Ayrault puisse envisager le dépeçage de la Sécu, quelle que soit l’ampleur des déficits. L’eurodéputée socialiste Pervanche Berès, spécialiste des questions sociales, ne cache d’ailleurs pas son incrédulité : « Cela paraît tellement gros », commente-t-elle, « cela ne peut pas passer »…
Puisque les ambiguïtés de la Commission ont de quoi susciter notre méfiance, c’est donc au gouvernement Ayrault de nous rassurer, vite, en prenant les mesures qui s’imposent pour que l’assimilation de la Sécurité sociale au secteur marchand cesse immédiatement. D’autant que l’épisode n’est pas sans nous rappeler le sinistre précédent de la « directive services » du célèbre commissaire Frits Bolkestein. Toute l’Europe et tous ses secteurs d’activités se trouvent depuis dans la ligne de mire, en vertu de la logique néolibérale n’ayant pour cohérence que la concurrence (non libre et faussée) des hommes entre eux, sans aucune idée de progrès humain ni limite morale.
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